Je viens de terminer le bouquin de François Ruffin. Ce Pays que tu ne connais pas. C’est un pamphlet, un brûlot, c’est une écriture vive, sous le coup d’une colère, mais d’une colère qui vient de loin. Pas une colère violente et haineuse. Non. Une de ces colères qu’on traduit par un sourire en coin. Une colère qu’on a maîtrisée parce qu’on a cherché à la comprendre.
La comparaison entre deux parcours, entre deux hommes de la même génération, des mêmes origines sociales, de la classe moyenne, plus ou moins, des mêmes origines géographiques, est saisissante. Quand on est, justement, de la même génération, qu’on a vécu les fragments d’une histoire commune, il est véritablement saisissant de constater qu’il est plus simple de s’identifier à François qu’à Emmanuel. Ce n’est pourtant pas un portrait à charge, malgré les différences. En tout cas pas uniquement. C’est un texte qui cherche à comprendre qui pose des questions, qui interroge sur l’humanité, sur l’empathie, sur le sens de l’engagement, sur le sens de l’intérêt général. Si François a tendance à se présenter comme un chevalier blanc, s’il dépeint Emmanuel comme un Robin des Bois à l’envers, ce n’est pas sans faire des parallèles, sans vouloir expliquer comment le milieu, les centres d’intérêts, la nature profonde de chacun peut influer sur un destin. Et François montre de nombreuses fois comment on peut perdre pied avec la réalité : combien il lui est plus compliqué, aujourd’hui, d’échapper à une commission à l’assemblée pour être auprès d’un homme qui a besoin de lui pour défendre le dossier de sa fille autiste. Combien on peut, si l'on y prend garde basculer du loup de la fable vers le chien...
Ce qui est saisissant, dans ce livre qui se lit d’une traite, ce sont les allers retours entre la France des gilets jaunes et la France d’en haut. La France des contrats précaires, des CDD à 800€, souvent à moins encore, des auxiliaires de vie, des femmes de ménages, de celles qui élèvent seules leurs enfants, de ceux qui se cassent le dos dans des boulots mal payés, contre la France des villas, des yachts, des paradis fiscaux, des dîners chics. La France des Bernard Arnault, des Xavier Niel, des Henry Hermand, contre la France des Marie, des Zoubir, des Patrick. Les petites phrases d’Emmanuel sont là, en filigrane : “Ceux qui ont tout et ceux qui ne sont rien”. C’est la culpabilisation de ceux qui ne s’en sortent pas, qui n’auraient pourtant qu’à “traverser la rue”. C’est le mépris de celui qui a réussi et que rien, ni personne, jamais, n’est venu remettre en cause, enfermé dans son tout petit cercle de gens très influents et très riches (1%) et qui ne vient “au contact” du reste des Français (99%) que très brièvement. Toujours en parlant, jamais en écoutant. C’est encore plus flagrant, jour après jour, quand Macron vient faire son show, souriant, tellement souriant, dans des débats où il décide de ne pas parler du coeur du sujet, c’est-à-dire, l’injustice fiscale qu’il a lui même fait grandir.
Le danger d’un pamphlet, c’est le manque de nuances. Et parfois, François tombe dans ce travers. La description d’un Macron en écrivain raté, en artiste qui a mal tourné, la tentation du point Godwin, la comparaison suggérée avec Hitler (sans le citer, mais on ne peut pas éviter d'y penser) n’est pas forcément très fine et très nécessaire. Cependant, la constatation qu’Emmanuel n’est pas à la hauteur de ses références, qu’il trahit, d’une certaine manière, ses ambitions littéraires et surtout les références et la belle culture transmise par sa grand-mère, c’est un constat assez juste. Comment vénérer Eluard, René Char, comment se référer sans cesse à Paul Ricoeur et finalement faire des discours plein des poncifs néo-libéraux, qui n’ont rien de très “néo” puisqu’ils sont les mêmes depuis des siècles.
Enfin, le livre est parfois brouillon, il part dans tous les sens, il mélange les sujets. On sent l’urgence, dans l’écriture et dans la construction, surtout dans les dernières pages. Mais c’est l’Histoire qui est entrain de se construire. C’est aussi l’écriture d’un homme qui livre ses doutes, sur son action, sur le sens de son engagement. De la suite qu’il y donnera...Et le danger d’établir un parallèle aussi systématique, à la première personne, avec un président en exercice, c’est qu’on pourrait penser qu’il se voit déjà en haut de l’affiche, à la place de celui à qui il se compare...