Gilles et John |
Quelques réflexions qui partent dans tous les sens, dans un billet de blog trop long...intitulé avec un mauvais jeu de mots. Par avance, toutes mes excuses. (ou plutôt, ceux qui ne veulent pas s'embarquer dans cette galère, zappez sans attendre !)
Le vrai coeur du problème, c’est la représentativité.
Et il y a deux mouvements qui semblent contradictoires :
Légitimement, le peuple se sent trahi par ses représentants. Ce même peuple, d’ailleurs, depuis plusieurs années, ne vote plus pour ses représentants, ni politique, ni syndicaux : par l’abstention, par le désintérêt pour la chose politique, le peuple a coupé les ponts avec ceux qui les dirigent. Évidemment les torts sont partagés : la classe politique s’est trouvée assez heureuse d’avoir le pouvoir sans partage avec le peuple, de se sentir, peut-être, un peu moins redevable devant des électeurs qui ne se déplaçaient pas pour voter pour eux. Tant que ça passe…Et la représentativité s’en est trouvée érodée des deux côtés.
C’est une première rupture : “Nous sommes élus”, disent les uns, “Nous n’avons pas voté pour vous”, répliquent les seconds.
La démocratie s’en est trouvée amoindrie.
C’est aussi ce qui a permis à Macron d’arriver au pouvoir sur l’idée qu’il pouvait s’appuyer sur une société civile, sans parti politique traditionnel. C’est déjà le début d’une démocratie illibérale. Surtout qu’avec une majorité confortable à l’assemblée, Macron a quand même décidé de faire passer ses premières mesures sur ordonnance. En se passant donc de la représentativité et de la discussion classique des lois. Pour être honnête, Hollande avait déjà fait la même chose avec le 49.3.
Deuxième mouvement contradictoire. Le peuple qui ne s’était plus intéressé à la politique depuis des décennies, par le biais de quelques poignées de gilets jaunes, semble vouloir revenir aux affaires et demande l’accès à une démocratie directe : référendum d’initiative populaire, disparition des corps intermédiaires, dissolution du sénat.
Ce que dit Hervé Le Bras à ce sujet est intéressant : il explique que c’est ce qui nous conduira directement à un régime autoritaire. Là aussi, en fait, cela risque de nous conduire à une démocratie illibérale. Car on se passera encore plus des corps intermédiaires, de la discussion, de la représentativité. On mettra le peuple devant les décisions. Comme quand on enlève le maillon “syndicat”, dans une entreprise : le travailleur est directement aux prises avec le patron. Or, le code du travail devient souvent, dans ce cas, l’arme du plus fort. De celui qui le connaît mieux et qui sait s’en servir à son profit. Un syndicaliste (quand tout se passe bien) c’est celui qui a du temps pour connaître le code du travail et défendre les travailleurs. Tout comme le député est censé connaître les lois, les comprendre, les voter dans le sens de l’intérêt général, en fonction du peuple qu’il représente.
Mais les gilets jaunes veulent pouvoir se passer de toute représentativité et c’est exactement ce que demandent à la fois Mélenchon et Le Pen. C’est ce que veulent les extrêmes, pour des raisons différentes. Sans doute un peu par angélisme pour Mélenchon qui veut croire que le peuple saura prendre les bonnes décisions pour lui-même et qu’on peut l’éduquer dans ce sens...Et sans doute, pour Le Pen, par calcul sombre, en se souvenant que si l’on avait voulu faire passer la l’abolition de la peine de mort, l’accès à l’avortement ou le mariage pour les couples de même sexe par référendum, on tuerait encore sur l'échafaud et avec des épingles à tricoter et on n’aurait moins d’invitation pour des mariages gais.
Crier au fascisme est stupide car ce n’est pas exactement ce qui se dessine : le populisme qui s’est mis en place en Hongrie, en Pologne, en Turquie, en Italie, en Russie, aux Etats-Unis (la liste commence à être longue), ce n’est pas précisément le fascisme. C’est juste une démocratie qui s’érode. Dans laquelle on n’a plus tout à fait le contrôle des choses, où l’opinion publique, les sondages, gouvernent plus que le parlement.
“Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C'est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l'expulser.” écrivait Françoise Giroud.
Le problème de vouloir diriger avec le peuple directement, c’est que le peuple n’est d’accord pour rien. Comment unir les 40 gilets du rond point de L’Isle-Sur-Le-Doubs avec les 35 du rond point de Belley et avec les 50 du péage de la Barque, près d'Aix-en-Provence ? Ils sont sans doute animés par des raisons très différentes. Comment unir les revendications de la carpe et du lapin ? Si beaucoup réclament sans doute le retour de l’ISF, sont-ils d’accord, ensuite, sur ce qu’il faudra faire de cet argent ? A qui le donner ? Est-on d’accord pour plus de services publics ? Lesquels ? La police ? Les infirmières ? Les professeurs ?
Et puis récupérer de l’argent peut se faire là, mais il peut aussi se faire ailleurs. Faut-il profiter du mouvement pour demander la fin du RSA, l’arrêt complet de l’immigration ?
La société est plus que jamais morcelée dans ce mouvement. Les gilets jaunes ruraux, éloignés des services publics ne vivent pas du tout la même réalité, n’ont pas du tout les mêmes repères que les gilets jaunes d’une région industrielle qui a perdu 30 000 emplois en 30 ans. La misère n’a pas tout à fait la même couleur ici ou là. Comment unir ceux qui disent “peuple d’assistés, la gauche a trop donné, le niveau baisse, l’éducation nationale est pourrie, il faut moins de taxes et moins de services publics” et ceux qui disent “on nous donne rien, on nous prend tout : on nous taxe jusqu’à la moelle et on n’a pas de quoi faire le plein et remplir le frigo.”
Refaire peuple, voilà le défi de Macron, unir la carpe et le lapin, qu’on se plaît à opposer depuis des années. On a divisé pour mieux régner, mais on a mal dosé la division : il semble maintenant impossible de régner…
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