2 décembre 2018

Graine de gilet jaune

J'ai écrit un roman qui trouve aujourd'hui écho dans l'actualité. Les points communs et les parallèles
sont si nombreux que j'en suis effrayée.

J'ai placé l'intrigue de cette fiction de proximité en 2022. Mais je décris le morcellement de la société qui est la nôtre. Je décris l'éloignement du peuple et de ses élites. De l'individualisme qui nous ronge et qui est encouragé par le ruissellement de libéralisme qui nous vient d'en haut.

Auto-entreprenez, repliez-vous sur votre téléphone portable. Ne relevez pas la tête, ne sortez pas de la zone de confort de votre petit groupe, de votre petit quartier, de votre petite religion. Formez des petits groupes d'intérêt, ne vous souciez pas de faire une société. Consommez. Ne participez pas au débat national, n'allez pas voter, ne faites pas parti d'un syndicat ou d'un parti politique. Ne vous souciez pas des autres.

Dans ce roman sorti en août dernier, je fais un tableau assez fidèle, je crois, de ce que nous constatons aujourd'hui, avec le mouvement des Gilets Jaunes : quand soudain, autour d'un motif ou d'un autre, on décide de faire combat commun, on peine à se mettre d'accord, on se retrouve sans pouvoir se parler, sans pouvoir organiser une parole sensée, construite, commune. Sans trouver un consensus, au coeur du commun combat.

Et pourtant, ce combat n'est pas stupide : il pose sur la table le contrat social, ce qui devrait fonder une nation toute entière. La question est celle de la juste répartition du gâteau commun. La question que posent les protestataires, le plus souvent - ne prenons pas en compte la multiplicité des paroles à scandale rapportées par des journalistes à la recherche d'audience -, c'est comment découpons nous le gâteau commun ? Pourquoi, pour qui payons-nous ?

La question mûrit depuis longtemps déjà dans notre pays : est-ce que je paye vraiment pour donner de l'argent sans contrepartie à des entreprises du CAC40, dans le cadre du CICE ? Est-ce que je paye vraiment pour qu'on supprime l'ISF aux plus riches des plus riches ?

Est-ce que je suis en droit d'attendre qu'on m'aide, moi qui ai l'impression de payer pour tout ? Moi qui fais partie de cette fameuse classe moyenne qui trime ?

Est-ce que ce sont les autres qui sont des assistés ? Est-ce que, vraiment, ce sont ceux qui sont au RSA qui sont à blâmer, parce qu'ils font la grasse matinée quand je me lève tôt pour aller travailler ?

Ces questions sont légitimes et le pouvoir les balaye d'un revers de main, pour l'instant. La toute petite classe dominante qui nous dirige ne prend pas l'ampleur de la révolte qui gronde. L'oligarchie au pouvoir donne l'impression d'avoir perdu le contact avec les réalités multiples qui composent notre pays. Et cela transparaît de nombreuses fois dans les discours qu'ils tiennent : nous hésitons entre ignorance et condescendance pour "ceux qui ne sont rien", selon Macron lui-même. Et pour ceux qui "fument des clopes et roulent au diesel" comme le dit le secrétaire d'Etat à l'économie, Benjamin Griveaux, nous hésitons entre le mépris de classe ou la haine.

Quand un ministre se plaint des restaurant à 200 Euros, quand on décide, à l'Elysée, de faire des travaux pour redorer un peu les ors de la République, on a tendance à penser à Marie-Antoinette. Dans une société médiatique du symbole et de l'anecdote, quand tout se sait instantanément sur les réseaux sociaux, il faut avouer que ce genre de petites nouvelles passent pour des bourdes impardonnables.

Sont-ils idiots à ce point, si mauvais en communication, ceux qui nous dirigent ou sont-ils tellement déconnectés du monde ? N'ont-ils pas compris que seules ces petites saillies à buzz parviennent aux oreilles saturées des gens ? Que la plupart d'entre nous n'en peut plus de la parole politique ? Qu'elle est décrédibilisée, après avoir été bafouée pendant des années ? Qu'elle n'a plus de sens au point de n'être même plus audible ? Il en va de même des exigences de l'opposition ! Tous dans le même sac, répondra-t-on !

C'est une crise de la représentation politique. Une crise qui couve depuis des décennies d'abstention et de vote protestataire d'extrême droite.

Nous n'en sortirons pas tant que nous ne ferons pas à nouveau société. Tant que nous n'aurons pas les moyens de reprendre le contrôle collectivement du contrat social. Tant que nous n'aboutirons pas à un consensus sur le sens de notre nation. C'est par le biais de l'argent, des parts du gâteau qu'il faut répartir équitablement, que le débat a été lancé. Mais les valeurs que cela engage, ce sont celles de la justice, de l'égalité, de la fraternité. C'est le sens même de la liberté qui est mis en cause. Où s'arrête la liberté, où commence le libéralisme ? Comment rendre leur sens à ces mots inscrits au fronton de nos mairies ?

Tant qu'on ne mettra pas cela au coeur du débat, tant qu'on ne prendra pas des décisions qui remettent au coeur de la chose publique la notion d'intérêt général, nous ne parviendrons pas à résoudre les problèmes qui nous animent.

Et la sinistre prophétie de mon roman se réalisera : un parti d'extrême droite sera élu aux prochaines présidentielles.
Rendez-vous sur Hellocoton !

2 commentaires:

  1. Ça va, les chevilles, sinon ? Enfin, le principal, c'est que vous soyez contente de vous, Madame la Prophétesse…

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont modérés pour les billets de plus de deux jours.