9 décembre 2018

Ici gît...les jaunes

Gilles et John
Quelques réflexions qui partent dans tous les sens, dans un billet de blog trop long...intitulé avec un mauvais jeu de mots. Par avance, toutes mes excuses. (ou plutôt, ceux qui ne veulent pas s'embarquer dans cette galère, zappez sans attendre !)

Le vrai coeur du problème, c’est la représentativité.


Et il y a deux mouvements qui semblent contradictoires :

Légitimement, le peuple se sent trahi par ses représentants. Ce même peuple, d’ailleurs, depuis plusieurs années, ne vote plus pour ses représentants, ni politique, ni syndicaux : par l’abstention, par le désintérêt pour la chose politique, le peuple a coupé les ponts avec ceux qui les dirigent. Évidemment les torts sont partagés : la classe politique s’est trouvée assez heureuse d’avoir le pouvoir sans partage avec le peuple, de se sentir, peut-être, un peu moins redevable devant des électeurs qui ne se déplaçaient pas pour voter pour eux. Tant que ça passe…Et la représentativité s’en est trouvée érodée des deux côtés.


C’est une première rupture : “Nous sommes élus”, disent les uns, “Nous n’avons pas voté pour vous”, répliquent les seconds.


La démocratie s’en est trouvée amoindrie.


C’est aussi ce qui a permis à Macron d’arriver au pouvoir sur l’idée qu’il pouvait s’appuyer sur une société civile, sans parti politique traditionnel. C’est déjà le début d’une démocratie illibérale. Surtout qu’avec une majorité confortable à l’assemblée, Macron a quand même décidé de faire passer ses premières mesures sur ordonnance. En se passant donc de la représentativité et de la discussion classique des lois. Pour être honnête, Hollande avait déjà fait la même chose avec le 49.3.


Deuxième mouvement contradictoire. Le peuple qui ne s’était plus intéressé à la politique depuis des décennies, par le biais de quelques poignées de gilets jaunes, semble vouloir revenir aux affaires et demande l’accès à une démocratie directe : référendum d’initiative populaire, disparition des corps intermédiaires, dissolution du sénat.


Ce que dit Hervé Le Bras à ce sujet est intéressant : il explique que c’est ce qui nous conduira directement à un régime autoritaire. Là aussi, en fait, cela risque de nous conduire à une démocratie illibérale. Car on se passera encore plus des corps intermédiaires, de la discussion, de la représentativité. On mettra le peuple devant les décisions. Comme quand on enlève le maillon “syndicat”, dans une entreprise : le travailleur est directement aux prises avec le patron. Or, le code du travail devient souvent, dans ce cas, l’arme du plus fort. De celui qui le connaît mieux et qui sait s’en servir à son profit. Un syndicaliste (quand tout se passe bien) c’est celui qui a du temps pour connaître le code du travail et défendre les travailleurs. Tout comme le député est censé connaître les lois, les comprendre, les voter dans le sens de l’intérêt général, en fonction du peuple qu’il représente.


Mais les gilets jaunes veulent pouvoir se passer de toute représentativité et c’est exactement ce que demandent à la fois Mélenchon et Le Pen. C’est ce que veulent les extrêmes, pour des raisons différentes. Sans doute un peu par angélisme pour Mélenchon qui veut croire que le peuple saura prendre les bonnes décisions pour lui-même et qu’on peut l’éduquer dans ce sens...Et sans doute, pour Le Pen, par calcul sombre, en se souvenant que si l’on avait voulu faire passer la l’abolition de la peine de mort, l’accès à l’avortement ou le mariage pour les couples de même sexe par référendum, on tuerait encore sur l'échafaud et avec des épingles à tricoter et on n’aurait moins d’invitation pour des mariages gais.


Crier au fascisme est stupide car ce n’est pas exactement ce qui se dessine : le populisme qui s’est mis en place en Hongrie, en Pologne, en Turquie, en Italie, en Russie, aux Etats-Unis (la liste commence à être longue), ce n’est pas précisément le fascisme. C’est juste une démocratie qui s’érode. Dans laquelle on n’a plus tout à fait le contrôle des choses, où l’opinion publique, les sondages, gouvernent plus que le parlement.


“Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C'est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l'expulser.” écrivait Françoise Giroud.


Le problème de vouloir diriger avec le peuple directement, c’est que le peuple n’est d’accord pour rien. Comment unir les 40 gilets du rond point de L’Isle-Sur-Le-Doubs avec les 35 du rond point de Belley et avec les 50 du péage de la Barque, près d'Aix-en-Provence ? Ils sont sans doute animés par des raisons très différentes. Comment unir les revendications de la carpe et du lapin ? Si beaucoup réclament sans doute le retour de l’ISF, sont-ils d’accord, ensuite, sur ce qu’il faudra faire de cet argent ? A qui le donner ? Est-on d’accord pour plus de services publics ? Lesquels ? La police ? Les infirmières ? Les professeurs ?


Et puis récupérer de l’argent peut se faire là, mais il peut aussi se faire ailleurs. Faut-il profiter du mouvement pour demander la fin du RSA, l’arrêt complet de l’immigration ?


La société est plus que jamais morcelée dans ce mouvement. Les gilets jaunes ruraux, éloignés des services publics ne vivent pas du tout la même réalité, n’ont pas du tout les mêmes repères que les gilets jaunes d’une région industrielle qui a perdu 30 000 emplois en 30 ans. La misère n’a pas tout à fait la même couleur ici ou là. Comment unir ceux qui disent “peuple d’assistés, la gauche a trop donné, le niveau baisse, l’éducation nationale est pourrie, il faut moins de taxes et moins de services publics” et ceux qui disent “on nous donne rien, on nous prend tout : on nous taxe jusqu’à la moelle et on n’a pas de quoi faire le plein et remplir le frigo.”


Refaire peuple, voilà le défi de Macron, unir la carpe et le lapin, qu’on se plaît à opposer depuis des années. On a divisé pour mieux régner, mais on a mal dosé la division : il semble maintenant impossible de régner…
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2 décembre 2018

Graine de gilet jaune

J'ai écrit un roman qui trouve aujourd'hui écho dans l'actualité. Les points communs et les parallèles
sont si nombreux que j'en suis effrayée.

J'ai placé l'intrigue de cette fiction de proximité en 2022. Mais je décris le morcellement de la société qui est la nôtre. Je décris l'éloignement du peuple et de ses élites. De l'individualisme qui nous ronge et qui est encouragé par le ruissellement de libéralisme qui nous vient d'en haut.

Auto-entreprenez, repliez-vous sur votre téléphone portable. Ne relevez pas la tête, ne sortez pas de la zone de confort de votre petit groupe, de votre petit quartier, de votre petite religion. Formez des petits groupes d'intérêt, ne vous souciez pas de faire une société. Consommez. Ne participez pas au débat national, n'allez pas voter, ne faites pas parti d'un syndicat ou d'un parti politique. Ne vous souciez pas des autres.

Dans ce roman sorti en août dernier, je fais un tableau assez fidèle, je crois, de ce que nous constatons aujourd'hui, avec le mouvement des Gilets Jaunes : quand soudain, autour d'un motif ou d'un autre, on décide de faire combat commun, on peine à se mettre d'accord, on se retrouve sans pouvoir se parler, sans pouvoir organiser une parole sensée, construite, commune. Sans trouver un consensus, au coeur du commun combat.

Et pourtant, ce combat n'est pas stupide : il pose sur la table le contrat social, ce qui devrait fonder une nation toute entière. La question est celle de la juste répartition du gâteau commun. La question que posent les protestataires, le plus souvent - ne prenons pas en compte la multiplicité des paroles à scandale rapportées par des journalistes à la recherche d'audience -, c'est comment découpons nous le gâteau commun ? Pourquoi, pour qui payons-nous ?

La question mûrit depuis longtemps déjà dans notre pays : est-ce que je paye vraiment pour donner de l'argent sans contrepartie à des entreprises du CAC40, dans le cadre du CICE ? Est-ce que je paye vraiment pour qu'on supprime l'ISF aux plus riches des plus riches ?

Est-ce que je suis en droit d'attendre qu'on m'aide, moi qui ai l'impression de payer pour tout ? Moi qui fais partie de cette fameuse classe moyenne qui trime ?

Est-ce que ce sont les autres qui sont des assistés ? Est-ce que, vraiment, ce sont ceux qui sont au RSA qui sont à blâmer, parce qu'ils font la grasse matinée quand je me lève tôt pour aller travailler ?

Ces questions sont légitimes et le pouvoir les balaye d'un revers de main, pour l'instant. La toute petite classe dominante qui nous dirige ne prend pas l'ampleur de la révolte qui gronde. L'oligarchie au pouvoir donne l'impression d'avoir perdu le contact avec les réalités multiples qui composent notre pays. Et cela transparaît de nombreuses fois dans les discours qu'ils tiennent : nous hésitons entre ignorance et condescendance pour "ceux qui ne sont rien", selon Macron lui-même. Et pour ceux qui "fument des clopes et roulent au diesel" comme le dit le secrétaire d'Etat à l'économie, Benjamin Griveaux, nous hésitons entre le mépris de classe ou la haine.

Quand un ministre se plaint des restaurant à 200 Euros, quand on décide, à l'Elysée, de faire des travaux pour redorer un peu les ors de la République, on a tendance à penser à Marie-Antoinette. Dans une société médiatique du symbole et de l'anecdote, quand tout se sait instantanément sur les réseaux sociaux, il faut avouer que ce genre de petites nouvelles passent pour des bourdes impardonnables.

Sont-ils idiots à ce point, si mauvais en communication, ceux qui nous dirigent ou sont-ils tellement déconnectés du monde ? N'ont-ils pas compris que seules ces petites saillies à buzz parviennent aux oreilles saturées des gens ? Que la plupart d'entre nous n'en peut plus de la parole politique ? Qu'elle est décrédibilisée, après avoir été bafouée pendant des années ? Qu'elle n'a plus de sens au point de n'être même plus audible ? Il en va de même des exigences de l'opposition ! Tous dans le même sac, répondra-t-on !

C'est une crise de la représentation politique. Une crise qui couve depuis des décennies d'abstention et de vote protestataire d'extrême droite.

Nous n'en sortirons pas tant que nous ne ferons pas à nouveau société. Tant que nous n'aurons pas les moyens de reprendre le contrôle collectivement du contrat social. Tant que nous n'aboutirons pas à un consensus sur le sens de notre nation. C'est par le biais de l'argent, des parts du gâteau qu'il faut répartir équitablement, que le débat a été lancé. Mais les valeurs que cela engage, ce sont celles de la justice, de l'égalité, de la fraternité. C'est le sens même de la liberté qui est mis en cause. Où s'arrête la liberté, où commence le libéralisme ? Comment rendre leur sens à ces mots inscrits au fronton de nos mairies ?

Tant qu'on ne mettra pas cela au coeur du débat, tant qu'on ne prendra pas des décisions qui remettent au coeur de la chose publique la notion d'intérêt général, nous ne parviendrons pas à résoudre les problèmes qui nous animent.

Et la sinistre prophétie de mon roman se réalisera : un parti d'extrême droite sera élu aux prochaines présidentielles.
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