Il était une fois un village heureux, niché dans une contrée lointaine. Ce petit bourg et ses habitants étaient bénis des Dieux. Les cultures des uns étaient suffisantes pour nourrir tout le monde, les artisans étaient suffisamment habiles pour fabriquer tout ce qu'il fallait à chacun et nul n'avait encore pensé à échanger tout cela avec de l'argent.
Un jour funeste, pourtant, un marchand venu d'ailleurs brisa l'harmonie à tout jamais. Le ver était dans le fruit, puisqu'il suffit de peu pour tout changer : le marchand observa un peu la petite communauté et remarqua Joe. Joe était fils de cultivateur. Il n'avait jamais été passionné par le métier de son père. Il n'avait jamais été passionné par rien, d'ailleurs. Il n'avait pas appris de métier et se laissait porter par la vie, entre sieste et bons petits repas préparés par sa maman.
Le marchand alla lui parler : il lui expliqua son métier, il lui expliqua l'argent. Il lui montra des pièces, il lui dit que ces petits objets ronds permettaient d'obtenir tout ce qu'on voulait. Il lui donna les bases du métier de commerçant : "Il suffit d'acheter quelque chose au prix le plus bas possible et de revendre au prix le plus haut possible."
Joe comprenait vite :
"- Mais ici, personne ne possède de l'argent !, s'exclama-t-il.
- Il suffira que tu leur en prêtes...Je vais te prêter une somme importante et tu seras ma succursale...
- Ta...quoi ?
- Laisse tomber, je t'expliquerai !"
C'est ainsi que le petit village sortit définitivement du Paradis, pour rentrer dans
l'enfer des banques.
Les habitants les plus fainéants, guidés par l'individu le plus fainéant d'entre eux, se mirent à vouloir emprunter de l'argent, pour éviter de travailler. Les artisans les plus cupides, guidés par celui qui n'y connaissait rien en artisanat, se mirent à vendre leurs productions contre de l'argent, pour pouvoir acheter les très chères pommes de terre des paysans les plus malhonnêtes, guidés par le plus malhonnête des banquiers.
Certains s'enrichirent très vite. Ils remboursèrent leurs dettes, ils firent bâtir, ils eurent alors le désir de régner sur leurs contemporains. Certains, plus faibles d'esprits, moins doués pour comprendre les rouages du nouveau système se ruinèrent très vite. On rachetait leur terre en faisant miroiter quelques pièces, on les expropriait. L'argent n'aime pas les faibles.
Dans cette société, on n'avait pas encore eu l'idée de passer un contrat social. On n'avait pas encore établi des règles permettant à chacun de bien vivre l'avènement de l'argent. On n'avait pas encore inventé les impôts. Le bien commun n'existait pas et les
pauvres étaient destinés à rester toujours pauvres, toujours ignorants du système, toujours humiliés par les riches.
La situation empira, forcément : les plus pauvres inventèrent le vol et le crime pour s'en sortir. Les riches se vengeaient et on était au bord de la guerre civile.
— Si vous êtes aussi finauds que des élèves de troisième, vous aurez noté qu'il s'agit d'un conte. Les contes, souvent, se terminent bien, car il se trouve toujours un héros pour sauver les meubles... —
Le
héros, c'est Joe. C'est notre seul personnage et il faut parfois guérir le mal par le mal.
Joe savait compter. C'était là son seul talent.
A la vue du désastre qu'il avait engendré, il eut des remords. Il voulut réparer. Alors il imagina une société plus équilibrée : il fallait créer un pot commun pour subvenir aux besoins des plus faibles. Les plus riches contribueraient en proportion de leurs revenus.
Grâce à cet argent, on éduquerait les pauvres qui pourraient alors devenir riches. Il y aurait donc plus de gens pour mettre de l'argent dans le pot commun.
C'était l'invention de l'impôt bien sûr.
Et même si les riches tentent toujours de payer moins, l'impôt est toujours aujourd'hui le seul salut d'une société paisible. Joe ne se maria pas : il était homosexuel et le héros qui devait faire passer la loi du mariage pour tous n'était pas encore passé à l'action. Il n'eut pas d'enfants non plus. Mais il vécut heureux, en inventant la première bulle financière en spéculant sur les manches de pioches.
Mais ceci est une autre histoire.
CC